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Nous ne réagissons pas tous de la même manière face à l’urgence climatique.
En fonction du stade de prise de conscience où vous en êtes rendu, il se peut que les défis intérieurs auxquels vous êtes confrontés divergent.
Afin de rendre compte de ces différents niveaux d’ambivalence auxquels vous pourriez être confronté, je me suis inspiré du « modèle de changement de comportement » utilisé pour la prise en charge des personnes dépendantes[i].
Ceci fait suite à mon article précédent sur la définition de l’écothérapie
Stade 1 « C’est comme ça, pis on ne peut rien y faire »
D’un côté, vous savez qu’il y a un consensus scientifique qui stipule que si nous ne diminuons pas radicalement notre utilisation des énergies fossiles, leur concentration augmentera dans l’atmosphère et finira probablement à terme par rendre le monde inhabitable[ii].
D’un autre côté, vous faites partie de ceux qui ne sont pas encore directement touchés par les conséquences de ce dérèglement climatique.
Tant que l’urgence ne cognera pas à votre porte, vous ne vous sentirez pas tellement concerné.
Oui, des événements météorologiques extraordinaires se produisent un peu partout, mais en même temps on vous répète sans cesse que météo et climat ne sont pas tout à fait la même chose[iii].
Puis, les médias laissent plus de place aux climatosceptiques qu’ils en laissent aux scientifiques du climat[iv], ce qui donne l’impression qu’il n’y a pas de réel consensus sur la question.
Bref, vous avez confiance en la science quand elle annonce qu’il y aura de grands bouleversements à venir si on ne fait rien.
Mais vos sens ne ressentent pas les changements, alors vous doutez.
Du moins, votre sensibilité pour le phénomène va en diminuant.
Vous ne pouvez pas rester continuellement en état d’alerte, surtout quand le danger n’est pas immédiat.
Votre tête comprend, mais votre cœur et votre corps restent indifférents.
Stade 2 « Je voudrais bien, mais pas tout de suite »
Vous regardez l’actualité, vous voyez les tsunamis, les feux de forêt, la fonte des glaces et vous paniquez!
Puis, vous vous tournez vers le politique, les entreprises, votre voisin et ils semblent tous indifférents.
Vous vous dites : « Ça y est, c’est foutu, ça ne sert à rien d’espérer ou d’essayer de faire quelque chose, il est trop tard, on va tous crever! »
C’est paniquant de penser qu’il n’y a pas d’issue, que les insectes, les animaux et les gens que l’on aime vont tous souffrir et disparaître.
Vous avez peur et vous vous dites que vous pourriez peut-être faire quelque chose…
Mais est-ce que ça vaut la peine? N’est-il pas déjà trop tard?
Vous pouvez peut-être faire la différence, mais à quel prix?
Après tout, vous l’aimez votre vie! Vous avez vos habitudes, votre quotidien, c’est facile, vous n’avez pas à vous poser de question.
Vous n’avez pas envie de cesser de prendre l’avion, d’arrêter de manger de la viande ou de mettre une croix sur votre projet d’avoir des enfants?
En même temps, tout ça ne fait pas vraiment de sens quand vous regardez les conséquences de cette vie, ce confort, cette abondance sur l’avenir.
Vous ne voulez pas que la fin du monde advienne, mais vous ne voulez pas non plus faire des sacrifices.
Haaaa! C’est vraiment décourageant de ne pas savoir ce que l’on veut vraiment.
Stade 3 « Je voudrais bien, mais je ne sais pas quoi faire »
OK, vous vous engagez, mais qu’est-ce que vous faites concrètement?
Vous vous mettez au vélo, vous vous lancez dans le zéro déchet ou vous vous impliquez dans une association de protection de la grenouille?
Bon, admettons que vous décidiez de vous mettre au zéro déchet, où trouveriez-vous l’information?
Sur un site, un blogue, un livre? Qui écoutez-vous? Votre amie ou les influenceuses? Est-ce que vous achetez des pots de verre ou vous prenez de vieux contenants de yogourt?
Bref, est-ce que vos choix sont les bons ou est-ce que vous êtes juste en train de faire n’importe quoi?
Vous voulez bien faire, mais vous ne savez pas par où commencer.
Stade 4 « C’est dur changer »
Votre mère vous dit que vous en faite trop et que vous devriez vous calmer un peu.
C’est correct de s’en faire pour les ours polaires, mais en même temps, il faut bien vivre un peu.
Votre meilleure amie vous rabat les oreilles avec toutes vos incohérences et vous renote la fois où vous avez pris un sac de plastique à l’épicerie.
Elle ajoute que vous n’êtes pas mieux que les autres avec vos idéaux.
Vous avez l’impression d’en faire trop et en même temps pas assez.
Puis, vous trouvez ça injuste!
Vous avez cessé le café et le chocolat parce que ça venait de loin, vous êtes de toutes les manifestations, vous avez mis un X sur votre retraite pour pas que la croissance de votre fonds de pension engendre plus de pollution[v].
Vous avez même passé à deux doigts d’avoir un casier judiciaire après avoir participé à une action non violente de désobéissance civile avec XR.
Malgré cela, les autres roulent en VUS, quand les banques investissent dans les énergies, ce sont essentiellement dans les fossiles[vi] et la concentration de gaz à effet de serre continue d’augmenter année après année malgré les 25 dernières conférences de l’ONU sur les changements climatiques[vii].
Vraiment, vous avez parfois envie de tout abandonner.
Stade 5 « S’engager c’est épuisant »
L’ouverture d’une épicerie zéro déchet prêt de chez vous, vous a permis.e de réduire vos déchets à 5 kg/an.
L’auto a été mise de côté pour le vélo et le bus.
Les apports carnés ont été éliminés de votre alimentation par souci pour la souffrance animale, votre santé et l’environnement.
L’avion n’est plus une option pour vos voyages parce que la compensation carbone est une arnaque.
Vos achats sont maintenant local et bio et vous ne choisissez pas les grandes marques.
Quitté l’emploi dans une boutique de linge! Vous êtes allé.e travailler dans une friperie.
Les marches se font maintenant dans les parcs près de chez vous plutôt que dans les réserve faunique. Ça vous évite de prendre l’auto et surtout ne pas embêter les autres animaux.
Vos électroménagers et vos appareils électroniques sont usagés.
Votre moteur de recherche sur le net plante des arbres à chacun de vos clics.
Fini les produits contenant de l’huile de palme, parce que ça détruit des forêts et les habitats des orangs-outans.
Vous manifestez, signez des pétitions, partagez-les posts de Greta Thunberg sur Facebook…
Oui vous avez Facebook
Et pas que…
Snapchat, Tik Tok, Pinterest, Instagram, Twitter, LinkedIn, YouTube, Netflix, Amazon Prime, Disney Chanel, Skype, Zoom, Jitsi, Microsoft Team et j’en passe.
Vous savez que l’impact de la navigation en ligne (surtout le vidéo) est désastreux parce que les serveurs qui hébergent les données sont très souvent alimentés par du charbon ou du gaz et qu’à eux seuls, ils alourdissent votre bilan carbone[viii].
Vous avez honte de passer autant de temps sur les réseaux sociaux.
En même temps, vous vous sentiriez coupable de vous couper de ce lien précieux avec le monde.
Ça vous fait vivre du tiraillement.
Déjà que la plupart de vos choix de vie sont en porte-à-faux avec la société dans laquelle vous vivez.
Vous vous sentez de plus en plus déconnecté de votre famille, vos amis, votre conjoint.
En fait, vous partagez de moins en moins de sphères d’intérêts avec eux.
La plus clair de votre temps, vous le passez à vous justifier ou à sermonner.
Vous vous dites qu’à ce rythme-là, il vous restera juste la lecture, le yoga, la pleine conscience, les bains de forêts pas trop loin de chez vous et le « slow sex».
C’est exigeant de faire individuellement sa part pour le climat.
On dirait que les sacrifices sont plus grands que les bénéfices.
C’est épuisant de réduire, refuser et renoncer alors que ce n’est pas ce qui est valorisé dans le monde dans lequel on vit.
D’autant plus que la plupart ne le font pas… ou si peu.
Oui, de plus en plus de gens prennent conscience de l’urgence climatique, mais la quantité de gaz à effet de serre produit continue lui aussi à grimper[ix], la biodiversité[x] continue à s’effondrer et les inégalités sociales à croître[xi].
On vous accuse de voir le verre à moitié vide, d’avoir un biais pessimiste.
Vous leur rétorquez que le problème avec les biais cognitif, c’est qu’ils peuvent aussi être optimistes.
Pour votre part, l’optimisme semble davantage biaisé tant les solutions connues vous paraissent triviales ou utopiques à côté de l’indifférence et la puissance concertée de compagnies de gaz, de pétrole et de charbon comme Saudi Aramco, Chevron, Gazprom, ExxonMobil et BP[xii].
Qui plus est, les pays signataires de l’Accord de Paris ne respectent peu ou pas leurs engagements[xiii]…
Pessimiste, vous disiez.
Stade 6 « OK, j’abandonne »
Vous avez arrêté de traîner votre contenant de café et votre sac réutilisable.
Ça faisait trop de charges mentales, parce que votre conjoint lui ne s’en préoccupait pas.
Même qu’il rationalisait, en vous disant que les médias exagèrent et qu’Elon Musk[xiv] et Jeff Bezos[xv] vont nous sauver (capitalisme vert).
De toute façon, ce n’est pas l’engagement individuel ou même les actions collectives qui vont faire la différence.
Vous pensez qu’il faut que ça vienne d’en haut.
Quand vous voyez pour qui on vote, vous vous dites que ce n’est pas gagné.
Avec les enfants, le travail, les relations familiales et amicales à entretenir, les tâches ménagères, les comptes à payer, l’optimisation de soi[xvi], vous n’avez pas vraiment le temps de faire une différence et ce ne sont pas vos petites actions qui vont changer quoi que ce soit.
De toute façon, on doit tous mourir, alors à quoi bon?
Pourtant, vous étiez fière de votre bilan carbone.
Vous étiez parvenue a diminuer vos émission annuelles de +/- deux tonnes (ce qui est non négligeable).
Mais malgré vos efforts héroïques, il vous reste un six tonnes qui ne dépend pas de vous…
Comment est-ce possible?
Lors de l’Accord de Paris, les pays signataire se sont engagés à ne pas franchir les deux degrés Celsius.
Une étude a calculé qu’il faudrait que chaque être humain ne produise pas plus de deux tonnes de CO2/an pour y parvenir.
C’est un manque à gagner de six tonnes qui ne dépendent pas de vous…
En fait, ça dépend de l’agriculture, l’industrie, les banques, l’État, etc. et qui exigerait une transformation en profondeur de leurs pratiques [xvii].
En regard de tout ça, vous sentez que vous êtes au bout du rouleau, que vous voudriez juste faire comme tout le monde, revenir à « l’anormal »[xviii].
Mais vous avez conscience de l’urgence…
Vous êtes coincé entre votre envie d’être dans le déni et l’impossibilité de faire désormais abstraction du danger.
Et le Stade 7?
Le stade 7 fera l’objet de la seconde partie de cet article.
Entre autres, il sera question de collapsonautes, de décroissantistes, d’écologistes profonds, d’écosocialistes et de transitionneurs.euses.
D’ici là, je vous invite à m’écrire. Vous me direz si vous vous reconnaissez dans l’un ou plusieurs de ces six stades.
Également, si vous avez des questions, commentaires, suggestions face à cet article, faites-le moi savoir.
Justin Sirois-Marcil, T.S., M. Serv. Soc.
Travailleur social, maitrise en service social, thérapeute ACT et écothérapeute
Thérapie / Intervention individuelle, de couple et de groupe
Approche : systémique, humaniste, thérapie d’acceptation et d’engagement (TCC de 3e vague)
Aide offerte : écoanxiété ; éco-anxiété ; écoémotion ; éco-émotions ; anxiété ; déprime ; épuisement ; adaptation ; burn-out écolo ; culpabilité ; honte ; communication ; cohérence ; masculinités ; rupture amoureuse ; deuil ; sens ; harcèlement ; impuissance ; lâcher prise ; prendre soin de soi ; équilibre.
[i] Plus précisément, le « Modèle transthéorique des changements de comportement » élaboré par les psychologues James O. Prochaska et Carlo C. Di Clemente (1982).
[ii] Wallace-Wells, D. (2020). La Terre inhabitable : vivre avec 4°C de plus. Robert Laffont.
[iii] Atlas climatique du Canada : Climat vs météo [En ligne]
[iv] Le Devoir : Hood, M. (14 août 2019) « Les climatosceptiques ont plus d’attention médiatique que les scientifiques, selon une étude » ET Riopel, A. (15 août 2019) « Les climatosceptiques sont surreprésentés dans les médias » [En ligne]
[v] Les Affaires : BÉRARD, D. « Voici le seul geste qui peut stopper le changement climatique » (10 novembre 2017) [En ligne]
[vi] Giraud, G. (Mars 2020) Financer la décarbonation. Sur 10 euros, les banques européennes en investissent 7 dans les énergies fossiles (pour 2 dans les énergies renouvelables).
[vii] Malm, A. (2020) Comment saboter un pipeline. Rue Drion
[viii] GreenIT.fr : (6 octobre 2020) Étude : 4% des émissions de GES [En ligne]
[ix] Programme des Nations Unies pour le développement : Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques : [En ligne]
[x] ONU Info : Un million d’espèces sont menacées d’extinction, alerte un groupe d’experts [en ligne]
[xi] Le Devoir : Desrosiers, E. (12 octobre 2019). Thomas Piketty au «Devoir»: les inégalités évitables de nos sociétés [En ligne]
[xii] Europe 1 : (10 octobre 2019) quelles sont les 20 entreprises les plus polluantes du monde ? [En ligne]
[xiii] Le Devoir : Shield, A. (6 nomvebre 2019) L’Accord de Paris sur le climat toujours peu respecté par les pays [En ligne]
[xiv] Le Journal de Montréal : Roy, A.-S. (9 janvier 2020) « 6 choses à savoir sur Elon Musk, l’homme le plus riche au monde » [En ligne]
[xv] Le journal du Dimanche : Le Gentil, A. (18 février 2020) « Climat : pourquoi, avec son don de 10 milliards de dollars, Jeff Bezos est accusé de jouer double-jeu » [En ligne]
[xvi] Injonction à optimiser son corps, son alimentation, sa sexualité, son sommeil, ses performances physiologiques, cognitives et sociales. C’est un thème central du Mémoire que j’ai déposé en 2016.
[xvii] Faire sa part.
[xviii] Le Devoir : Deneault, A. (17 novembre 2020). « Retour à l’anormal » – section Idées.
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